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L'homme à la voix d'or.

      Avant de vous lancer dans la lecture, vous pouvez découvrir en premier l'illustration, la regarder, la scruter, essayer d'imaginer le conte, ses péripéties, ses rebondissements.

 

      Puis, laissez vous porter par les mots pour découvrir ce qui se cache derrière cette image et y revenir à la fin de votre lecture, pour comprendre tout ce que recèle cette illustration.

 

          Bonne lecture.

       Il était une fois un très joli village. En son centre s’élevait un immense temple avec trente cinq salles très lumineuses.  Les fenêtres de chacune d’entre elles donnaient sur un immense jardin aux allées bien entretenues, aux arbres bien verts et aux petits lacs pleins de poissons. Tout le monde venait s'y promener à tout moment de la journée car l'ombre des arbres, le bruit de l'eau et la beauté du temple donnaient une impression de fraicheur, de calme et d'harmonie. Il n'y avait pas de porte dans ce temple et on pouvait y entrer librement pour se reposer ou pour prier. Les enfants venaient y jouer, mais à l'intérieur tout le monde se taisait car les salles richement décorées imposaient silence et recueillement. Au fond de la plus grande, il y avait une toute petite porte sans aucune décoration. Elle était fermée et on ne l'ouvrait qu'à certaines occasions.

    Et quand on l'ouvrait, on découvrait une nouvelle salle, immense, toute en longueur et on était surpris par la luminosité naturelle qui venait directement de l'extérieur en passant par des trous en forme de soleil ou d'étoiles percés dans le plafond. Après s'être imprégné de cette atmosphère étrange on descendait trois marches de marbre blond et on découvrait une ligne d'objets d'un jaune brillant. C'étaient des cloches en or. Quatre vingt dix neuf cloches en or finement ouvragées, toutes différentes. Les premières étaient minuscules. Et au fur et à mesure que l'on avançait dans la longue pièce, elles devenaient de plus en plus imposantes pour finir par une énorme cloche de trente sept kilos d'or pur. Le plus surprenant, c'est que ces cloches étaient vides. A l'intérieur elles n'avaient pas de battant. A quoi pouvaient-elles donc servir ? Chacun se posait la question. Alors, on expliquait aux visiteurs que chaque fois qu'un enfant naissait, on l'emmenait  auprès de la plus petite des cloches et on la lui présentait. Quand son souffle la touchait, si celle ci se mettait à sonner, c'était que cet enfant serait quelqu'un d'extraordinaire. Le simple souffle de l'enfant faisait vibrer la cloche et par les orifices du toit, on entendait le son cristallin de la clochette dans tout le village. Par la suite, à tous les anniversaires, la même scène se reproduisait. On le présentait à la cloche qui correspondait son âge et si la cloche sonnait c'est que l'enfant était sur la bonne voie.

    Il faut dire que jusqu'au jour où naquit "Céleste", le petit garçon de… et de…, il était rare que les cloches sonnent souvent, sauf quand un bébé venait de naitre. Mais au fur et à mesure que les enfants grandissaient, les cloches sonnaient de moins en moins.    

          Cependant, parfois, bien que très rarement, il arrivait qu'un adulte fasse encore sonner la cloche de son anniversaire. C'était alors la fête dans le village. Quelqu'un avait réussi.

      Au delà de la quarantième cloche, on n'avait jamais entendu le son des autres cloches.

     Juste après la naissance de Céleste, la première fois que ses parents le portèrent dans la longue salle aux cloches, la plus petite se mit à vibrer tout doucement, mais très, très longtemps, et elle continua même après que tout le monde soit sorti et qu'on eut refermé la porte. C'était la première fois que cela arrivait. La vie continua et l'unique chose qu'on remarqua c'est que Céleste était un bébé très doux. Il ne pleurait jamais, mais savait se faire comprendre dès qu'il voulait quelque chose. Quand il eut un an,  la même scène se reproduisit. A peine entré dans la salle la seconde cloche se mit à vibrer et cela dura encore plus longtemps. Ce fut une belle fête.

       Pendant toute l'enfance de Céleste, les dix premières cloches de la grande salle sonnèrent à tour de rôle. C'était maintenant un garçon aimable. Il menait sa vie sans  utiliser la violence. D'ailleurs, les autres enfants l'excluaient d'office quand ils voulaient jouer à la guerre car Céleste ne  savait pas y jouer. Il en était de même avec les bagarres. Jamais il ne se battait. Il ne comprenait même pas qu'on puisse le faire. Il n'utilisait que  la parole. Il aidait toujours tout le monde autour de lui et en toutes circonstances il gardait un sourire impassible. D'ailleurs, à son contact, les bagarres entre enfants diminuèrent beaucoup puis finirent par disparaître complètement.

           Quand à l'âge de seize ans il fit la rencontre de Samia, la jeune fille qui allait devenir sa femme, il avait déjà fait sonner les seize premières cloches de la grande salle. Tout le monde était stupéfait. Les gens comprirent petit à petit que sa douceur et sa gentillesse  lui permettaient de réussir, avec naturel, tout ce qu'il entreprenait.

    C'est vers cette époque là que Céleste commença à chanter. Cela se fit petit à petit, sans qu'il s'en rende compte, mais tous les gens qui étaient autour de lui s'arrêtaient de travailler pour l'écouter. Aucune parole dans son chant, uniquement une mélodie envoûtante qui émanait du plus profond de son être.

   Peu à peu, sa voix s'affirma et on lui demanda de chanter pour les cérémonies qui rythmaient la vie du village : les semailles, les récoltes, les naissances, les unions, les fêtes religieuses. Quand il se mettait à chanter on voyait sur son visage qu'il n'était plus de ce monde. Il était dans la musique, et quand on lui demandait où il était, il répondait qu'il était avec le monde entier, la nature, les hommes, les animaux.

     On le surnomma l'homme à la voix d'or. On l'invita dans les villages d'à côté, mais il  refusa toujours de sortir des limites de son hameau. Les gens se déplaçaient donc pour l'écouter et venaient parfois de très loin pour avoir le privilège de l'entendre. Au milieu de leur dure vie de tous les jours, du combat pour travailler ou trouver à manger, l'écouter était comme un moment exceptionnel, un moment de grâce.

    Ses mélodies les plus belles il les chantait les yeux dans les yeux de Samia. Les années passèrent ainsi, calmes, paisibles, des années de bonheur extraordinaire. Dorénavant, quand il y avait des disputes entre les gens, ils se retrouvaient pour écouter les mélodies de Céleste et quand l'homme à la voix d'or avait fini de chanter, alors, encore sous le coup de l'émotion, les anciens ennemis se levaient, discutaient un moment puis se serraient la main en riant. Si on leur demandait ce qui s'était passé, ce qui leur avait permis de se réconcilier, ils répondaient : Ca s'est fait tout seul. En écoutant, la solution est arrivée et on n'a ne peut que rire de notre bêtise et de nos anciennes colères. 

          Le village grandit peu à peu. On venait de loin pour s'y installer. Il y avait toujours du travail pour faire vivre tout le monde et la paix qui y régnait  attirait de plus en plus de visiteurs qu'il fallait nourrir et loger parfois.

  Les gens qui arrivaient s'inspiraient de l'harmonie qui imprégnait chaque maison, chaque arbre ou chaque rue et ils s'installaient en faisant leur cette façon de vivre.

  Les années passèrent. Céleste avait fait sonner toutes les cloches jusqu'à la quarantième.     Le jour de son quarante et unième anniversaire, la foule se pressa, dense, pour voir si enfin on allait entendre le son d'une nouvelle cloche. Céleste entra dans le temple et le silence se fit dans la foule. Au fur et  à mesure que le temps passait, on sentait la tension monter puis, à travers le toit de la salle monta une mélodie. Les cloches sonnaient toutes à la fois et formaient une des mélodies que Céleste avait l'habitude de chanter. Cela dura longtemps, bien après que Céleste eut quitté le temple. Cette mélodie douce emplissait le village même dans les coins les plus reculés.

             La vie reprit son cours, mais cette fois, on sentit que le village avait franchi un nouveau pas vers le bonheur. Tout le monde se mit à chantonner en travaillant. Les rires fusaient de partout, les fêtes étaient de plus en plus grandes, de plus en plus belles. Les cloches sonnaient de plus en plus souvent.

 

      En dépit du village qui grandissait, les gens se connaissaient tous et s'entraidaient constamment.  Parfois, certains visiteurs arrivaient et ne repartaient plus. Ils s'installaient et participaient à la vie du village et quand on leur demandait pourquoi ils restaient, après un moment de silence, ils disaient presque tous la même chose.

  • Quelque chose s'est ouvert en moi et je n'ai pas pu repartir.

    On construisait les maisons ensemble quand quelqu'un s'installait, on aménageait les chemins, on plantait et on récoltait ensemble. Tous les travaux se faisaient en commun.

            S'il arrivait qu'il y eût un problème à régler entre deux personnes, la simple suggestion d'aller écouter Céleste suffisait à désamorcer la situation et  tout le monde éclatait de rire.

   Près du temple, on construisit une immense maison pour y loger les visiteurs de plus en plus nombreux qui, envoyés par les villages des alentours, venaient découvrir la vie dans ce village. Et quand elle fut finie, sur la porte on écrivit ces simples mots : Bienvenue.

       Tous les jours, après le repas de midi, Céleste se promenait et écoutait les questions qu'on lui posait, il y donnait les réponses qu'il savait donner et quelques heures après, plein des questions qui étaient restées sans réponses, il se mettait à chanter. Rares étaient ceux qui lui posaient une autre fois la même question, chacun ayant trouvé sa solution tout seul en écoutant le chant.

                                        

        Les émissaires des villages voisins qui venaient, s'installaient pendant un mois, deux mois et quand ils repartaient dans leur village, ils expliquaient à tous les autres ce qu'ils avaient vu, entendu et compris. Petit à petit, dans tous les villages la vie changea. Certes elle était toujours difficile, mais la joie, l'espoir, la solidarité remplaçaient petit à petit l'abattement et la tristesse.

   Les années continuèrent à passer. Céleste et Samia étaient devenus très vieux. On entendit  pour la première fois la quatre vingt dix septième cloche. Elle avait un son puissant et une extrême douceur. Toute la région avait adopté les règles de vie du village de Céleste, les adaptant aux particularités de chaque contrée. Ils accueillaient aussi des gens d'autres villages qui venaient apprendre au milieu d'eux. Ce fut une démultiplication rapide.

         Céleste vieillissait rapidement maintenant. Il avait du mal à marcher et il ne chantait presque plus. Cependant dans le village, on entendait chanter tout le temps. Il avait fait sonner quatre vingt dix huit cloches. Il n'en restait plus qu'une. Le jour de son anniversaire arriva. Tout le monde se massa autour du temple. Trop faible, Céleste ne put se déplacer. On attendit tout le jour, jusqu'au coucher du soleil. Rien. Aucune cloche ne sonna.

  Tout le monde retourna chez lui, triste et déçu.

     Mais au milieu de la nuit, la plus petite des cloches se mit à sonner. Le son qu'elle produisait s'entendit dans tous les villages, dans toute la région. Les gens surent aussitôt.

           Le lendemain, sur la place des crémations, un bûcher fut allumé et le corps de Céleste y fut déposé. Quand le feu prit, un immense silence se fit. Alors on entendit la cloche la plus petite commencer une mélodie puis la suivante la continua et ainsi de suite. Quatre vingt dix huit cloches sonnèrent à tour de rôle. Quand le feu s'éteignit, la plus grosse des cloches commença à jouer, mais ce n'était pas le son d'une cloche qu'on entendait, c’était la voix de Céleste qui s'élevait dans le ciel.

      On connaissait maintenant le son des quatre vingt dix neuf cloches. Alors, pour que l'espoir puisse continuer, le village et les régions autour s'unirent et décidèrent de fabriquer dix cloches de plus.

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