Ne te roule pas dans l’herbe, tu as un pantalon blanc ! Touche pas la terre, c’est sale !
Mais dans l’atelier du silence, la terre était chaude et accueillante. Elle semblait faite pour être prise dans les mains. L’herbe faisait des chatouilles ou se courbait quand on la caressait.
En suivant le labyrinthe, je découvris aussi des objets qu’on trouvait à l’intérieur des maisons : des tableaux dont on pouvait suivre les lignes avec délectation, de belles statues dont mes doigts suivaient les formes avec volupté.
Laisse ces verres à pied tranquilles. C’est du cristal. Tu vas les casser.
Or là, les verres qui étaient sur l’étagère, on pouvait les soulever, les faire sonner, regarder leur transparence en les levant vers la lumière.
C’était un labyrinthe vraiment surprenant. Le silence qui y régnait empêchait toute interdiction verbale. On était dans la proximité avec l’objet. Tout prenait sens.
Quand je sortis de l’atelier pour rentrer chez moi, mes mains trainaient partout. Je caressais les arbres, le tram, les murs. Je caressais tout ce que je pouvais caresser sans trop attirer l’attention. Je sentis alors cette jouissance qu’il y a à retrouver une partie de son être. Tout autour de moi, les gens n’arrêtaient pas de dire aux enfants.
Ne touche pas ce chien ! Il doit avoir des puces.
Ne te touche pas le visage, tu as les mains sales !
Tout cela résonnait douloureusement en moi. De retour à la maison je me préparai une purée et au moment de la manger, j’entendis, dans ma tête, la voix de ma mère qui résonnait comme quand j’étais petit :
Ne touche pas la purée avec les doigts. Il y a une fourchette.
Je décidai de me donner la permission de manger cette purée avec les doigts. C’était chaud, souple et fin. Rien n’avait ce toucher. Il aurait fallu le permettre au monde entier pour que personne ne soit amputé de ces sensations là.
Je revins plusieurs jours faire inlassablement le même parcours et, dans ma tête, les mêmes interdictions qui revenaient sans cesse.
Ne touche pas ! Ne touche pas ! Ne touche pas. !
Mais petit à petit, à force de toucher et de toucher encore, les interdictions s’espacèrent et finirent par disparaître. Dans le labyrinthe, il n’y avait plus que le silence extérieur qui peu à peu devint intérieur. Je sentis cela comme une renaissance.