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La jeune fille et la statue de pierre. Episode n°8.

  • Je suis fatiguée. Je vais redescendre. J’espère que je pourrai revenir demain.

  • A demain.

Emeline cacha les outils dans l’anfractuosité d’un rocher et, plus légère, elle redescendit au coucher du soleil. Elle ne sentait plus son corps. Il était enfoui sous la fatigue, mais elle marchait d’un pas léger. Une force nouvelle la poussait maintenant.

Au village, elle se lia d’amitié avec un très vieux berger et celui-ci lui proposa de venir l’aider dans les estives. Elle accepta avec plaisir. Le vieil homme demanda la permission à sa tante, et celle-ci la lui donna sans hésiter.

  • Tu vas apprendre le métier de berger et tu ne traineras plus par ici. Tu auras enfin quelque chose à faire - lui dit sa tante.

La cabane du berger était toute en haut, à tout juste un quart d’heure de marche du rocher à la jeune fille.

La vie prit une tournure plus tranquille. Elle n’avait plus à monter tous les jours. Elle aidait le soir à rentrer les brebis dans l’enclot, puis elle aidait à la traite et à la fabrication du fromage. Le reste de la journée, elle était libre et elle partait en direction des sommets.

Le désespoir qu'elle avait éprouvé, au début, face à la dureté du granit fit place à l’expérience. Emeline comprit qu’elle pouvait éviter une trop grande fatigue en changeant souvent de position. Elle attaquait un peu plus vers le bas ou un peu plus vers le haut. Elle changeait de côté, frappant d’une main puis de l’autre. Elle ne répétait plus le « non » du début, mais dans ses yeux on pouvait lire maintenant la volonté d’y arriver.

C’est en s’attaquant aux traits du visage qu’Emeline ressentit pour la première fois de la tendresse. Elle sculptait ce visage avec douceur. Elle s’arrêtait souvent pour en caresser les joues ou le front, plus tard l’arrête du nez. Elle le lissait avec le burin. De temps en temps elle caressait aussi son propre visage pour comparer et savoir si son résultat convenait. La froideur du rocher ne l’empêchait pas de ressentir la douceur du grain de la pierre. Elle commençait à trouver en elle de la douceur aussi. Elle se dit que son père ne l’avait jamais embrassée, jamais caressée et d’un seul coup cela lui manqua. Elle décida de sculpter avec tendresse. Ses coups de burins se firent moins violents, plus précis et son travail avança beaucoup plus vite.

  • Je te remercie pour ta tendresse dit la jeune fille de pierre.

  • Comment la ressens-tu ?

  • Je ressens tout ce que tu sens quand tu sculptes. Je sais ce que tu penses avec seulement la brutalité ou la tendresse de tes gestes. Au début, tes gestes étaient violents et inefficaces. On t’aurait dit en colère. Tu te fatiguais pour rien. Plus tard, ils sont devenus plus méthodiques comme si tu commençais à comprendre quelque chose, puis maintenant je sens qu’ils sont tout doux.

  • C'est vrai. Avant j’en voulais à mon père de ne jamais me faire confiance, puis peu à peu, à force de taper, taper, taper, ça s’est estompé et je suis devenue heureuse de sculpter. Et là, là, je viens de découvrir en moi ton visage et sa douceur. Il est comme le mien, je sens qu’il a envie de douceur, de tendresse.

Emeline recommença à sculpter, absorbée par les coups de massettes et le visage qui prenait forme petit à petit. Il devenait de plus en plus beau.

Chaque fin d’après midi, Emeline retrouvait...


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