Ambivalences
Chansons et contes pour enfants et adultes
La rivière entravée.
C’est par hasard, en me promenant dans des Landes désertes que j’ai découvert cette rivière. C’était la première fois que j’en voyais une ainsi. Elle était si différente des autres que j’en suis resté debout, silencieux, comme hypnotisé. Le paysage était désolé, un peu sec. On n’aurait jamais imaginé une rivière à cet endroit là. Elle reposait au fond du vallon.
Je me suis approché et je me suis assis auprès d’elle. / Je n’avais rien à dire. D’ailleurs, elle non plus ne disait rien, elle ne coulait pas, elle était silencieuse. Je suis revenu plusieurs jours de suite. J’étais en vacances et j’avais mon temps.
Chaque fois, je la regardais d’en haut puis, je descendais et je m’asseyais à ses côtés.
Le premier jour où elle m’a parlé, elle ne m’a pas dit grand chose. Elle m’a posé une seule question.
-
Qui es tu ?
Moi, je savais parler aux rivières. J’en avais vu des milliers, j’en connaissais des centaines, toutes différentes. Je savais qu’il ne fallait pas trop discuter le premier jour, alors j’ai répondu simplement :
-
Je suis Aymeric. J’aime bien me promener par ici.
Et puis, je suis reparti. Cette rivière me surprenait. Elle ne s’exprimait pas facilement et elle ne coulait pas. Le lendemain, je suis revenu et je me suis assis à côté d’elle.
-
Bonjour Aymeric !
-
Bonjour rivière.
-
Comment sais tu que je suis une rivière ? je ne coule pas.
-
Tu es une rivière parce que tu as de l’eau.
-
Oui, mais les lacs aussi ont de l’eau et ce ne sont pas des rivières.
-
Je sais que tu n’es pas un lac. D’ailleurs, on peut vérifier. Je peux remonter jusqu’à ta source si tu veux.
-
Personne ne peut t’en empêcher.
Alors je suis remonté jusqu’à sa source. Elle était loin et bien cachée, mais j’ai fini par y arriver.
-
Tu vois que tu as une source. Tu es bien une rivière.
-
Je le sais que je suis une rivière, mais je ne suis pas comme les autres.
-
C’est vrai, tu es une rivière particulière. Une rivière qui ne coule pas. Ca fait longtemps que tu as cessé de couler ?
-
Oh surement. Je ne sais plus depuis quand. Ca s’est fait tout seul.
-
Qu’est ce qui s’est passé ?
-
Je ne sais pas, c’est arrivé comme ça.
-
Tu es la première rivière qui vraiment différente des autres que je rencontre.
-
Et comment je suis ? Moi, je ne peux pas me voir. Je ne peux que me sentir de l’intérieur.
-
Et comment te sens tu?
-
Je vis arrêtée. Par à coups, par tranches.
-
C’est bien ce que je vois moi aussi.
-
Et qu’est ce que tu vois donc ?
-
Tu es faite de petits bassins qui se suivent les uns les autres. Parfois, ils communiquent, et parfois ils ne communiquent pas entre eux.
-
C’est un peu comme ça que je me sens aussi. De temps en temps, il pleut et je forme un nouveau bassin. Si la pluie est douce, le bassin a de l’eau claire et j’aime ce que je suis. Si la pluie est violente, le bassin est plus profond, l’eau est plus boueuse et je n’aime pas ce que je suis.
-
Alors tu t’aimes parfois et d’autres fois non ?
-
C’est ça. Je n’aime pas tout ce que je deviens.
-
Et tu voudrais t’aimer vraiment ?
-
Ca ça me semble impossible. Ce serait très particulier comme sensation. Qu’est ce que je ressentirais ?
-
Je ne peux pas te dire ce qu’il en serait pour toi, mais je peux te raconter ce que je connais des autres rivières.
-
Oh oui ! Raconte moi.
-
Eh bien, il y a d’autres rivières qui coulent depuis leur source jusqu’à la mer.
-
Elles coulent en vrai. Comment elles font ?
-
C’est tout doux. C’est un mouvement continu qui caresse les rives, les plages de galets, les rochers, les herbes des prairies, les algues, les poissons. Il y a même des arbres qui se penchent pour caresser l’eau de leurs branches tellement c’est doux de toucher ces rivières. L’eau est claire et vive. C’est un spectacle fascinant.
-
Tu aimes ce genre de rivière ?
-
Oui, beaucoup.
-
Alors, tu ne dois pas m’aimer à moi. Je suis le contraire. Je ne coule pas, mon eau est arrêtée. Elle est parfois boueuse. Pourquoi viens tu perdre ton temps avec moi ? Il y a beaucoup d’autres rivières plus belles non ?
-
Oui. Il y en a de magnifiques. Elles peuvent être longues et très larges quand elles atteignent la mer. Il y en a qui sont tellement belles, tellement puissantes qu’elles attirent les autres rivières et ces dernières se mélangent à elle. Cela donne des fleuves majestueux.
-
Et tu viens me voir à moi ? Tu perds ton temps.
-
J’aime venir ici.
-
Pourquoi ?
-
Peut-être parce que je vois tes efforts pour devenir rivière.
-
Moi, des efforts ?
-
Oui. Depuis la dernière fois, il y a plusieurs bassins d’eau claire que tu as fait se rejoindre, et ça donne l’impression d’un petit ruisseau.
-
Tu es très observateur.
-
Non, mais je le vois profondément au fond de moi.
-
Tu crois que je peux devenir rivière ? Une vraie rivière qui coule ?
-
Oui.
-
Tu es sûr ?
-
On bavarde, on bavarde et il se fait tard. il faut que je rentre avant la nuit. Je reviendrai demain.